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Lettre ouverte à Mr le Président de l’Anses,


Publié le 13 sept. 2019 14:17:00

 

Lettre ouverte à Mr le Président de l’Anses,

Monsieur Genet, vous me permettrez de rectifier quelques-unes des erreurs que vous avez commises - sans doute par ignorance - dans vos récentes affirmations concernant l’affaire des SDHI.

Ainsi, vous prétendez que l’Anses soutiendrait certains travaux de recherche sur les SDHI (succinate dehydrogenase inhibitors) à la tête desquels se trouveraient des scientifiques et des médecins qui ont initialement lancé l’alerte concernant ces fongicides. C’est faux. Les co-signataires de l’alerte sur les SDHI et la consultation du site de l’Anses vous confirmeront l’évidence : aucun projet de recherche n’est en pratique démarré à ce jour. Seules des discussions ont ou ont eu lieu, qui ont porté sur l’éventuelle pertinence qu’il y aurait à étudier la cohorte française des malades atteints de paragangliomes et/ou phéochromocytomes (tumeurs et/ou cancers résultant des mutations des gènes de la SDH, la succinate déshydrogénase). En tout état de cause de telles études auraient évidement dû précéder et non suivre l’autorisation de mise sur le marché de ces poisons. Nous sommes donc loin, très loin du compte !

Vous me reprochez de ne pas avoir transmis à l’Anses les éléments de preuve de la toxicité des SDHI sur l’homme. Cette demande - je l’espère - relève d’une méconnaissance de ce que sont les maladies mitochondriales. En effet, comment ignorer la grande latence intervenant entre un blocage partiel du fonctionnement des enzymes de la chaîne respiratoire - soit l’effet attendu des SDHI - et l’apparition de pathologies associées ? Cette latence est bien connue des spécialistes dont nous sommes de ces maladies, et amplement documentée par des dizaines de publications.

Permettez une illustration de ce phénomène : bien que présentes dès la conception, les dysfonctions de la chaîne respiratoire observées dans les maladies génétiques peuvent mettre jusqu’à vingt, voire trente ans à apparaitre chez les personnes atteintes. Un éventuel empoisonnement de la chaîne respiratoire par les SDHI mettra donc de très nombreuses années, des dizaines probablement, avant d’avoir une traduction pathologique. Vu le caractère partiel de l’inhibition le SDH telle qu’on peut l’attendre d’une lente imbibition par les SDHI, on peut raisonnablement prédire l’apparition ou l’accélération de pathologies neurologiques, type Parkinson et Alzheimer. Seule une grande malhonnêteté scientifique pourrait conduire à soutenir un autre point de vue.

Comme vous le savez pertinemment, nous avons établi et fourni à l’Anses, les preuves scientifiques 1) de l’évidence du danger représenté par l’usage massif des SDHI, 2) de l’obsolescence totale des tests toxicologiques réglementaires demandés aux industriels et 3) de la non-spécificité (ni d’espèce, ni de cible) des SDHI, en particulier de ceux de dernière génération. Ces éléments évidement cruciaux, que nous avons exposés à l’Anses, vous les passez curieusement sous silence.

Enfin, je vous ai invité et vous invite encore, Monsieur Genet, à vous rendre dans notre laboratoire pour vous expliciter de nouveau ces données dans tous leurs détails. Vous n’avez pas même accusé réception de mes courriers ou emails. Pour rappel, les données de notre travail de recherche ont été communiquées à l’Anses avant même leur publication (publication soumise désormais, et mis à disposition une partie d’entre elles sur le site BioRxiv).

Si, par aventure, vous recherchiez des « signaux forts » pour nourrir le travail d’une agence supposée attentive à l’environnement, l’effondrement de la biodiversité observée en France et en Europe devrait vous sauter aux yeux. Avec un responsable central, dont le nom revient obstinément d’étude en étude: l’usage immodéré des pesticides fait dans l’agriculture intensive. Parmi ces pesticides, les SDHI, avec leur totale absence de spécificité d’espèce, apparaissent particulièrement bien placés dans la course à la toxicité. Cette fois, seule de la mauvaise volonté peut conduire à ne pas considérer cette triste réalité. A cette mauvaise volonté s’ajoute, dans la perception du danger représenté par l’usage des SDHI, un évident problème de compétence dans votre agence.

Le groupe de 4 experts constitué par l’Anses pour examiner notre alerte n’a pas semblé vraiment au fait de la complexité des maladies mitochondriales (du type de celles qui pourraient résulter de l’imprégnation par les SDHI) et a démontré son ignorance des données scientifiques sur le sujet SDHI. Par exemple, il nous a été demandé de montrer l’effet des SDHI sur l’enzyme des mammifères... effet connu et rapporté dans une publication accessible depuis.. 1976 ! Nous avons confirmé cet effet pour les nouveaux SDHI actuellement distribués en France et informé l’Anses de ces données dès notre première audition. En avez-vous tenu compte? Nullement, tout comme vous avez préféré ignorer une étude soutenue financièrement par l’Anses qui, dès 2012, démontrait la génotoxicité de certains SDHI, indépendamment de toute modification épigénétique.

Tous ces éléments scientifiquement fondés et fort alarmants nous ont conduit à demander - et nous réitérons cette demande - que soit appliqué d’urgence le principe de précaution et que soient reconsidérées les autorisations données à l’usage des SDHI. Le respect d’une réglementation totalement obsolète - réglementation à laquelle les firmes s’accrochent et derrière laquelle s’abrite désespérément l’Anses - ne me semble pas avoir grande valeur s’agissant du drame en cours pour la biodiversité et de la menace bien réelle pesant sur la santé humaine.

Pierre Rustin

Directeur de Recherche CE au CNRS

Hôpital Robert Debré – Inserm UMR1141, Bâtiment INSERM, 48, Boulevard Sérurier, 75019 Paris, France Tel + 33 (0)1 4003 1989 pierre.rustin@inserm.fr

 

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